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Paul Alexandre et le 7, rue Delta (2ème partie)

Fin 1907, Doucet rencontre Amedeo Modigliani  chez Frédéric au ‘Lapin Agile’ qui n’est alors fréquenté que par des gens pauvres, des poètes et des artistes. Modi lui raconte s’être fait expulsé du petit atelier qu’il occupe place Jean-Baptiste Clément et ne sait pas où aller. Doucet l’invite à le suivre au 7 rue Delta où il pourrait rester. C’est ainsi que le Docteur Alexandre rencontre pour la première fois Amedeo Modigliani et commence une grande amitié entre le médecin et l’artiste italien.

Rue du Delta - photographie théatrale

L’italien ne s’installe jamais rue Delta mais fréquente le lieu avec assiduité.

Ce lieu appartenant à Paris est récupéré par la Ville en juillet 1913. Paul Alexandre en trouve un autre, chez ‘Bouscarat’, 10, place Dancourt, à côté du théâtre Montmartre (devenu ensuite le théâtre Charles Dullin) mais à peine aménagé avec les moyens du bord d’après les idées de Modigliani, la guerre éclate et marque la fin de l’aventure montmartroise de Dedo qui s’était déjà installé derrière Montparnasse à son retour d’un voyage en Italie.

Capture delta demenagement

La Grande Guerre séparera à jamais Modi du Dr. Alexandre. Le 1er, réformé, continue sa vie de bohème à Montparnasse tandis que le mécène est mobilisé le 3 août 1914 et passe toute la guerre au front en première ligne. Ils ne se reverront plus.

Nous savons que Paul Alexandre est pendant de nombreuses années son unique acheteur  mais, frappé par ses dons d’artistes prodigieux, il récupère également tous les dessins, esquisses et carnets d’études que l’Artiste veut détruire.

Ayant toujours pensé écrire ses souvenirs sur Modigliani, le Docteur Alexandre conserve soigneusement toutes traces (lettres, notes, photographies, …) réunies au fil de ses rencontres avec l’artiste. Malgré l’insistance de son entourage le projet ne sera jamais réalisé de son vivant. Il s’éteint en 1968.

Cette collection est révélée pour la première fois au grand public à travers le livre Modigliani Inconnu écrit par son fils Noël Alexandre et publié en 1993. Il reprend l’inventaire complet de la collection de son père (450 pièces).

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Paul Alexandre et le 7 rue Delta (1ère partie)

« Avec Modigliani, nous ne parlions pas seulement de peinture bien entendu, mais aussi de poésie, de littérature, de tout…. Lorsque je ne travaillais pas, j’allais le prendre à son atelier et nous nous promenions ensemble, allant d’exposition en exposition… »[1]
C’est grâce aux souvenirs précis de Paul Alexandre qu’on peut se faire une meilleure idée des recherches et du quotidien de Modigliani.

Capture portrait de Paul Alexandre

De père pharmacien (Jean-Baptiste Alexandre), Paul est l’ainé de trois garçons (Pierre et Jean). Dès son plus jeune âge, il fréquente le musée du Louvres et déjà durant ses études il noue des relations amicales avec les artistes qu’il rencontre. Louis de Saint Albin le fait rencontrer le peintre Geo Printemps qui lui introduit le sculpteur Maurice Drouard avec qui il développe une grande amitié. Ce dernier lui fait rencontrer un de ses camarades d’atelier qu’il aime beaucoup : Constantin Brancusi. Tout ce monde forme un cercle d’amis qui se réunit au 22 de la rue Visconti, juste à côté de l’école des Beaux-Arts. Les uns entrainant les autres, de nouvelles têtes apparaissent rapidement, Henri Doucet, Albert Gleizes, Le Fauconnier, Henri Gazan,… si bien que l’espace devient rapidement trop exigu. Tout près, rue de Bucci, le restaurant Paumier accepte de leur louer une fois par semaine la salle de son premier étage.

Ayant une clinique médicale au 62, rue Pigalle, le Docteur Alexandre trouve, à 5 minutes de son lieu de travail un lieu beaucoup plus approprié aux rencontres : le 7, rue Delta.

Capture façade du Delta

Même si l’Ecole des Beaux-Arts se trouve rive gauche, c’est encore à Montmarte que tout se passe en 1907. Au Bateau Lavoir habitent Picasso (et Fernande), André Salmon, Juan Gris, Kees Van Dongen. Dans les rues erre Maurice Utrillo. Dans le quartier, nous rencontrons Georges Braque, Marie Laurencin, Suzanne Valadon, Emile Bernard, Jules Pascin, ….

dessin de Doucet

Véritable phalanstère, ce lieu hors du commun est également le théâtre de soirées très légères, d’expériences au haschich, …. «  Avant cette tragédie de la guerre, nous vivions librement et joyeusement au Delta. A sa demande, j’avais invité mon frère Jean à venir se joindre à nous ainsi que son ami Jean Dupont qui sera grièvement blessé à la guerre. Nous faisions du théâtre, des scénarios, de la musique, des soirées poétiques où mes explications de Villon, Mallarmé, Verlaine ou Baudelaire tenaient une place privilégiée. Doucet m’avait fait acheter un harmonium aux Puces et Drouard jouait du violon. J’avais pour ami l’acteur Saturnin Fabre. Nous faisions des photographies théâtrales à l’intérieur ou dans le jardin,, derrière la palissade. Il y avait également des parties d’échecs savantes et silencieuses. On préparait le bal des Quat’z arts longtemps à l’avance avec beaucoup »[2]

Capture delta 01

d’imagination. Bien entendu il y avait aussi des femmes : Lucie Gazan, Raymonde, la maîtresse de Drouard, , Adelita, Clotilde,  et aussi Adrienne qui servira de modèle à Modigliani. Les artistes amenaient souvent des ouvrières couturières qui étaient de petites femmes très libres. Elles nous aidaient dans nos déguisements  du bal des Quat’z arts… »

[1] ‘Modigliani inconnu’ p. 60
[2] ‘Modigliani inconnu’ p. 47-48

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Une rencontre bien peu ordinaire

‘Modigliani tend la bouteille à son protégé :

–          Tu ne la laisseras pas tomber ?

–          Moi, la laisser tomber ?… Une bouteille ?…Penses-tu ?… Veux-tu que je te dise ? Je tomberais, moi, que je sauverais la bouteille !

[…] Sa bouteille bien serrée sous l’aisselle gauche, l’ivrogne momentanément dessoulé, marchait de biais en contemplant son bienfaiteur.  Au côté de Modigliani portant haut sa belle tête de prince oriental au service d’une république italienne, il apparaissait tel que l’a vu Roland Dorgelès, à la même époque : « il semblait disloqué, dans son costume noir ; les bras trop longs, la poitrine creuse. Son teint était blafard, son regard trouble, ses moustaches tombantes trop grosses pour ses joues. ».[1]

Place Blanche et la rue Lepic

Place Blanche et la rue Lepic

Selon l’auteur, ce serait dans un petit bougnat de la rue Lepic que Modigliani rencontra pour la première fois Maurice Utrillo. Celui qu’on surnommait Maumau était de nouveau complètement ivre et le tenancier, refusait de lui servir un nouveau verre de vin à quelques sous. L’artiste italien, dans sa démesure légendaire, intervient et achète au tavernier 2 litrons de piquette et invite le peintre montmartrois à le suivre jusqu’au square Saint-Pierre. Ils y menèrent un tel tapage que la police de la place de Dancourt dut intervenir et les enferma au poste, le temps de dégriser complètement.

Modigliani a un premier ami à Paris et ce, jusqu’à sa mort.

portrait d'Utrillo, 1919

portrait d’Utrillo, 1919

[1] La vie passionnée de Modigliani, André Salmon, Ed. Seghers, 1957, p.69

English version

A few ordinary meeting

‘ Modigliani gives the wine bottle to his protégé :

– You won’t drop it in the ground, won’t you?

– Me, dropping a bottle on the floor?…  A bottle ? … Let me tell you something, I would fall myself that I would save the bottle!

[…] With its bottle tight under the left armpit, the drunkard walked through contemplating his benefactor. Compared with Modigliani with his beautiful oriental prince head in the service of an Italian republic, he appeared as Roland Dorgelès described him at the same period :  » it seemed dislocated in his black suit , with too long arms and a hollow chest . His face was pale  with troubled eyes  and too big drooping mustaches » .

 According to the author, Modigliani met for the first time Maurice Utrillo in a small bougnat rue Lepic. Maumau, that is his nickname, was completely drunk once again and the tenant refused to serve him another glass of wine. The Italian artist, in his legendary excess, interfered, bought the innkeeper 2 quarts of cheap wine and invited the Montmartre painter to come with him to St. Peter square. They led such a fuss that the Dancourt police had to intervene and locked them up in jail, time to be sober again.

Modigliani had his first Parisian friend, and this until his death.

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